Coup de projecteur sur le Brésil: “Convoitises sur les terres indigènes”

Ricardo Arnt • 9 May 2021

Or, argent, platine, pétrole, cuivre, fer, manganèse, nickel, zinc, niobium, cassitérite, étain, titane, bauxite – nombreux sont les minéraux qui abonderaient dans les sous-sols des 723 terres indigènes occupant 13% du territoire brésilien.

Alors que le pays est en pleine récession économique et tarde à sortir de la crise sanitaire liée au Covid-19, le gouvernement du Président Jair Bolsonaro a adressé au congrès un projet de loi (PL 191/2020) afin de réglementer, en urgence, l’exploration minière et la production énergétique au sein des terres indigènes.

Aujourd’hui, la constitution brésilienne garantit aux indiens la possession permanente de leurs terres, ainsi que “l’usufruit exclusif des richesses contenues dans les sols, les cours d’eau, et les lacs de ces territoires”. L’article 231 stipule également que ces ressources naturelles ne peuvent être exploitées qu’avec l’autorisation du Parlement, “après consultation des communautés affectées, en leur garantissant une participation effective aux décisions ”. L’article 176, quant à lui, détermine que “l’Union garantisse les conditions spécifiques pour ces activités”. Néanmoins, ces “conditions spécifiques” n’ont toujours pas été réglementées à ce jour.

Une bataille pour des accès

Les convoitises que ces territoires font naître est compréhensible : Une étude de l’Association Brésilienne de Prospection Minière nous montre qu’au sein de 379 de ces territoires localisés en Amazonie, 190 font déjà l’objet de processus d’exploitation minière, que ce soit par le biais de “demandes d’études”, de “permissions pour la recherche” ou de “concessions de gisements destinés à l’extraction”. De ce total, la moitié des demandes sont directement liées à l’exploitation aurifère. Aussi, la compagnie publique d’énergie Eletrobras, prévoit quant à elle la construction de dizaines de centrales hydroélectriques sur ces territoires réservés.


La pression de l’industrie minière pour une réglementation définitive est immense. En effet, la plupart des projets sont actuellement réalisés de manière illégale ou précaire, poussés par les convoitises envers les centaines de filons clandestins disséminés en Amazonie et bien souvent localisés sur des territoires indigènes, comme en terre Yanomami, dans l'État de Roraima, ou en Terre Indigène Munduruku, au Pará, où une partie des leaders communautaires a été cooptée par les orpailleurs. Aussi, plusieurs peuples indigènes, comme les Kayapó, les Gavião et les Xikrin, du Pará également, sont d’ores et déjà parvenus à des accords avec des compagnies minières.

Une autre étude, publiée cette fois-ci en 2013 par l’ONG Instituto Socioambiental (Institut socio-environnemental) fait l’inventaire de 4 220 processus d’exploration minière impactant directement 152 territoires indigènes au Brésil : De ce total, 104 ont déjà obtenu des licences d’exploitation et les 4 116 projets restants étaient en attente d’autorisation pour des “demandes d’études”. Certains territoires font même l’objet d’accords signés avec plusieurs groupes miniers, comme en terre Indigène Apyterewa par exemple, disputée par les groupes Vale, Samaúma Exportação, Mineração Capoeirana, Mineração Guariba et Mineração Nayara.



Une loi sans consensus

Préparé et rédigé par le gouvernement, le projet de loi remis au parlement a pour objectif d’éviter que les territoires indigènes restent inaccessibles et exclusifs, empêchant l'exploitation des ressources naturelles. Depuis la constitution de 1988, plusieurs tentatives ont été faites pour définir les conditions spécifiques des différents projets, mais rien n’a jamais été approuvé. En effet, pour une bonne partie des parlementaires, de l'Église catholique et au sein des mouvements écologistes, la défense des droits des populations indigènes est un sujet particulièrement sensible. De plus, l’impact des méthodes prédatrices des orpailleurs dans les forêts indigènes scandalise une partie de l’opinion publique.


Ce projet de loi - le PL 191/2020 - a pour objet de "réglementer la recherche, la prospection des ressources minérales et hydrocarbures et l’exploitation des ressources hydriques pour la génération d'énergie électrique". Pour se faire, les auteurs du projet proposent la création d'une indemnisation pour la restriction de l’usufruit de terres indigènes”. De même, la réalisation éventuelle de projets “au sein des territoires occupés par des populations indigènes en situation d’isolement volontaire” (et de la sorte, moins capables de défendre leurs droits) est également prévue. Le texte détermine la formation de “conseils de contrôle, de nature privée, composés exclusivement de représentants indigènes issus des territoires où ces activités auront été autorisées par le Congrès National”.


Le PL 191 ne modifie en rien les processus d’autorisation d’ores et déjà en vigueur dans le secteur minier brésilien, si ce n’est un petit détail : L’article 5 prévoit en effet que les rapports de viabilité puissent être élaborés même sans que les communautés locales aient donné leur accord pour entamer des travaux de prospection. L’article 2, quant à lui, stipule que les demandes d’autorisation pourront “être concédées même sans l’aval des communautés indigènes affectées, s’il en existe les motifs”. En toute évidence, ces communautés n’auront donc aucune possibilité d'empêcher l’avancement de l’un de ces projets, le cas échéant.

De dures critiques pour de durs intérêts

Enfin, et selon ses détracteurs, le PL 191 retire surtout aux indigènes leur droit de veto tel que la Convention 169 de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) le préconise, et dont le Brésil est signataire, soit dit en passant.

Scattered pools of water in a deforested site with Illegal mining in the Amazon Rainforest
A dirt road lead to the Yanomami hut in the Indigenous Land

Dans ce sens, les intentions du gouvernement brésilien pourraient ne pas produire les effets espérés, entraîner une accumulation de litiges, un durcissement des critiques et surtout épouvanter d’éventuels investisseurs soucieux de leur réputation.



Ces derniers mois, la hausse des prix  de matières premières  comme le fer, le cuivre, le pétrole, le soja et le maïs, donne à penser qu’un nouveau cycle de valorisation  sur les marchés des commodities est à prévoir, et va pouvoir donner un peu d’air à l’économie brésilienne, durement touchée par la pandémie du Covid-19 et par une lourde récession de -4,1% du PIB en 2020. Selon les analyses du Commodity Research Bureau, les cours des commodities agricoles, métalliques et énergétiques ont subi une hausse de 40% en moyenne entre avril  2020 et mars 2021. Cette valorisation intéresse directement le Brésil, l’un des principaux exportateurs mondiaux de matières premières. 


Le gouvernement Bolsonaro ne perdra pas une minute pour que soit approuvé le PL 191/2020.

Coup de projecteur sur le Brésil

Tous les mois, Story Productions propose un coup de projecteur sur le Brésil avec Ricardo Arnt, auteur et journaliste brésilien de plus de 40 ans d’expérience. Ancien rédacteur en chef pour la revue mensuelle Planeta et pour la chaîne de télévision Bandeirantes TV, il a aussi été éditeur pour la revue Exame, le quotidien Folha de São Paulo, mais aussi pour la revue Superinteressante et les sujets à l’international du journal du soir à TV Globo.

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